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Automne - Hiver 2007


Le multilinguisme au travail dans le contexte québécois de la francisation des entreprises, par Virginie Moffet et Pierre Bouchard

Afin de répondre aux préoccupations de la population relativement au français, le gouvernement du Québec a adopté, en 1977, la Charte de la langue française qui comporte plusieurs dispositions à l’égard de la langue de travail et de la francisation des entreprises. La certification, un élément important du chapitre relatif à la francisation des entreprises, est en quelque sorte la reconnaissance officielle de la réalisation des objectifs de francisation propres à une entreprise. Cependant, certaines réalités environnementales, organisationnelles, sociales et économiques ne jouent pas toujours en faveur du processus de francisation et de l’utilisation du français au travail. D’ailleurs, de récentes données montrent que, même si les travailleurs de langue maternelle française travaillent en français, il s’en trouve une proportion appréciable qui travaillent en anglais à Montréal et que ceux de langue maternelle tierce sont partagés entre l’utilisation du français et celle de l’anglais, et ce, plus particulièrement dans l’île de Montréal.

   
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Sommaire

1. Introduction
2. Le processus de francisation des entreprises
2.1 Présentation du processus de francisation des entreprises
2.2 Les effets de la certification sur l’utilisation du français
3. Le français au travail
3.1 La situation au Québec et dans la région métropolitaine de Montréal
3.2 Les travailleurs de langue maternelle tierce et les immigrants
3.3 La langue parlée à la maison et celle utilisée au travail
4. Conclusion
5. Références

1. Introduction

La langue ou les langues utilisées au sein des milieux de travail préoccupent depuis quelques temps déjà certains États. En 2003, la Direction générale à la langue française et aux langues de France, la Generalitat de Catalogne et le Secrétariat à la politique linguistique du Québec ont d’ailleurs organisé conjointement le Colloque international sur les pratiques linguistiques dans les entreprises à vocation internationale (1). Il y fut, entre autres choses, question des enjeux auxquels les entreprises à vocation internationale, qu’elles soient établies en France, en Catalogne, au Pays basque ou au Québec, doivent désormais faire face et des pratiques linguistiques retenues dans ces différents États.

Dans son plan d’aménagement linguistique, le Québec a décidé de soutenir le français en adoptant la Charte de la langue française en 1977. Tout en déclarant le français la langue officielle du Québec, la Charte consacrait plusieurs droits fondamentaux dont celui de communiquer et de travailler en français.

Plusieurs dispositions touchant la langue de travail ont été inscrites dans la Charte de la langue française, que l’on pense à celles relatives à la langue du travail (art. 41 à 50), à la langue du commerce et des affaires (art. 51 à 71) et à la francisation des entreprises (art. 129 à 154). Les dispositions relatives à la langue de travail auxquelles sont assujettis tous les employeurs traitent, entre autres, de la langue des communications de l’employeur avec son personnel, de la langue de publication des offres d’emploi, de la langue des conventions collectives et de la langue d’accès à un emploi. Les dispositions relatives à la langue du commerce et des affaires fixent le cadre linguistique dans lequel doivent s’effectuer les activités commerciales : tout doit être au moins en français. Ces dispositions touchent l’information écrite destinée aux consommateurs de biens et services (les inscriptions sur les produits, les catalogues, les logiciels, les jouets ou jeux, les bons de commande, l’affichage public, etc.). Enfin, les dispositions relatives à la francisation des entreprises - dispositions qui ne s’appliquent qu’aux entreprises employant 50 personnes ou plus - décrivent le processus de francisation auquel ces entreprises doivent se soumettre.

Cela étant, nous ferons d’abord état, dans la première partie de cet article, du processus de francisation des entreprises, décrit dans la Charte de la langue française et chercherons à en préciser toute la portée. Dans la deuxième partie, il sera plus particulièrement question de l’usage des langues au travail, notamment de la place réservée au français à Montréal.

2. Le processus de francisation des entreprises

Le processus de certification des entreprises, prescrit par la Charte de la langue française et modulé par les actions de l’Office québécois de la langue française, est unique au monde et, sans doute, peu connu.

2.1 Présentation du processus de francisation des entreprises

Avant d’obtenir son certificat de francisation, une entreprise doit d’abord procéder à l’analyse de sa situation linguistique et la soumettre à l’Office pour appréciation. Par la suite, un certificat de francisation est délivré par l’Office à l’entreprise, si ce dernier juge que le français y est suffisamment généralisé. Dans le cas contraire, l’entreprise (2) doit élaborer un programme de francisation adapté à sa situation particulière et apporter les correctifs jugés nécessaires selon un échéancier négocié avec l’Office pour en arriver dans un délai plus ou moins rapproché (3) à l’obtention d’un certificat (voir figure 1).

Après l’obtention du certificat de francisation, l’entreprise n’est pas libérée pour autant de ses obligations en regard de la francisation. En effet, selon les modifications apportées à la Charte de la langue française en 1993, l’entreprise certifiée a l’obligation de continuer à se préoccuper de francisation en remettant « à l’Office, à tous les trois ans, un rapport sur l’évolution de l’utilisation du français dans l’entreprise » (Charte de la langue française, art. 146). Le schéma suivant résume les principales étapes de ce processus de francisation.

Figure 1. Processus de certification des entreprises de 50 personnes ou plus

Figure 1. Processus de certification des entreprises de 50 personnes ou plus

Que signifie le fait de délivrer un tel certificat de francisation? Étant donné les étapes décrites précédemment, il ressort clairement que la délivrance d’un certificat de francisation constitue un acte administratif posé par l’Office québécois de la langue française à l’endroit d’une entreprise à la suite de l’évaluation de sa situation linguistique (Conseil de la langue française, 1995 : 94). Le certificat constitue en quelque sorte une reconnaissance officielle du niveau de généralisation du français atteint à la suite d’une négociation qui tient compte des objectifs définis par la loi et du contexte socio-économique dans lequel évolue l'entreprise visée. Les travailleurs ont ainsi la possibilité de travailler en français, mais certaines contraintes environnementales ou organisationnelles peuvent faire en sorte qu'ils aient tout de même à travailler en anglais ou dans une autre langue.

Comment expliquer cette situation? Plusieurs facteurs peuvent être avancés. Cette situation ne découle pas uniquement des caractéristiques propres à l’entreprise. Elle peut aussi dépendre du contexte social et interorganisationnel dans lequel cette dernière doit évoluer. Parmi les caractéristiques propres à l’entreprise, il ne faut sûrement pas négliger, outre la langue de la propriété (Bouchard, 1991), l’importance de la situation géographique du siège social qui, à certains égards, est corrélée avec l’origine de la propriété (entreprise étrangère =siège social à l’extérieur du Québec) ou avec la langue de la propriété (entreprise anglophone @ siège social à Montréal ou à l’extérieur du Québec).

L’activité économique de l’entreprise est une autre de ces caractéristiques qu’il importe aussi de considérer. En effet, en plus de la spécialisation linguistique ou ethnique que l’on a tendance à attribuer à certains secteurs (Raynauld et Vaillancourt, 1984), (4) on trouve aussi des secteurs d’activité économique marqués par une utilisation plus ou moins forte de la technologie (Conseil de la langue française, 1995 : indicateur 2.7) et, conséquemment, une utilisation plus fréquente de l’anglais par les travailleurs.

Si la mondialisation des échanges et de l’information explique, pour une bonne part, la non-certification (ou la lente certification) de certaines entreprises, notamment celle des entreprises en application de programme depuis 10 ans (5) ou plus, elle contribue aussi à l’utilisation d’autres langues que le français comme langue de travail. Les retombées de la mondialisation touchent, entre autres, les entreprises dont les produits sont fabriqués au Québec, mais destinés à l’extérieur du Québec (le cas du secteur de l’aérospatiale). Elles sont également ressenties lorsqu’il s’agit de produits de l’extérieur (États-Unis, ou Japon) ou dont la fabrication se fait à l’aide d’une technologie de plus en plus sophistiquée (le cas des constructeurs d’automobiles). Ce contexte de mondialisation joue aussi un rôle important lorsque les entreprises font appel aux technologies de l’information pour assurer la gestion des stocks ou la gestion des ventes à distance ( à partir de Toronto ou de New York dans le secteur commercial par exemple), pour conclure des transactions financières destinées à d’autres pays ou qui en proviennent (le cas du secteur financier) et pour transférer des plans de travail d’un pays à l’autre en vue de permettre l’utilisation de licences de logiciels dans des établissements situés à l’intérieur d’autres fuseaux horaires (le cas du secteur des produits électriques et électroniques).

2.2 Les effets de la certification sur l’utilisation du français

La question de la certification en regard de l’utilisation du français a fait l’objet de plusieurs évaluations critiques de la part des syndicats, des membres du Conseil de la langue française, du groupe de travail tripartite sur le français (6), du comité interministériel sur la situation de la langue française et de chercheurs universitaires. Tous en sont arrivés à la conclusion que « certification » et « utilisation du français » ne sont pas équivalents, que la certification d’une entreprise ne signifie pas nécessairement que son personnel utilise effectivement le français au travail, tout au plus est-elle « un préalable à un fonctionnement en français, à la vie en français » (Comité interministériel sur la situation de la langue française, 1995 : 87). Il ne faut cependant pas conclure de ces évaluations que le processus de certification n’agit pas sur le niveau d’utilisation du français.

En effet, une étude réalisée en 1995 par l’Office québécois de la langue française montre que, dans la région de Montréal, l’utilisation du français est de façon générale plus élevée dans les entreprises certifiées que dans celles qui ne le sont pas, qu’il s’agisse de l’environnement écrit (7) (affichage et documentation de travail), des communications écrites des travailleurs (dans les formulaires ou lors de la rédaction de différents écrits) ou des communications orales tant avec les supérieurs qu’entre collègues (> 80 % par rapport à £ 65 %). Le processus de certification a donc vraiment influencé l’utilisation du français par les travailleurs. Il ne se limite pas à une simple francisation de l’environnement écrit (8): il fait en sorte que ces travailleurs utilisent davantage le français que l’anglais à lécrit (pour remplir des formulaires ou rédiger des documents divers) et à l’oral dans respectivement 87 % et 82 % des entreprises certifiées, tandis que ces proportions sont de 67 % et de62 % dans les entreprises non certifiées. Par contre, il importe de le souligner, le processus de certification a produit un effet beaucoup plus limité dans le cas des logiciels : seulement 49 % des entreprises certifiées comparativement à 26 % des entreprises non certifiées ont tendance à utiliser davantage de logiciels en français.

Cela étant dit, il semble bien qu’il y ait eu, du moins dans le cadre du processus de certification, progression de l’utilisation du français comme langue de travail. Par ailleurs, il faut aussi être conscient que cette utilisation du français demeure fragile,car les autres langues, surtout l’anglais, sont utilisées plus ou moins fréquemment au travail, et ce avec plus d’acuité dans la région montréalaise. C’est ce que nous verrons dans la deuxième partie de cet article.

3. Le français au travail

Pour la première fois depuis 2001, nous disposons de données du recensement sur la langue de travail qui nous permettent d’évaluer avec plus de précision l’utilisation du français, de l’anglais et des autres langues au travail.

   


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