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Automne - Hiver 2006


Le nationalisme linguistique: une option interventionniste face aux conceptions libérals du marché de langues, par Henri Boyer

L’auteur révise les différentes positions prises sur les effets sociolinguistiques de la mondialisation et se concentre en particulier sur
le nationalisme linguistique, un nationalisme qui est fondé sur la langue. Boyer décrit les deux cas de nationalisme linguistique à l’État espagnol, le nationalisme galicien et le catalan, tout en mettant l’accent sur le deuxième. (1)

 

   
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Sommaire

1. Introduction
2. La mondialisation et la disparition des langues
3. Le nationalisme linguistique
4. Les nationalismes linguistiques en Espagne
5. La construction idéologique d'un nationalisme linguistique en Catalogne
6. Conclusions
7. Bibliographie

1. Introduction

Je schématiserais volontiers les options sociolinguistiques (en matière de gestion des contacts de langues) qui s’opposent actuellement, en relation avec la « mondialisation » et la situation du plurilinguisme planétaire et des plurilinguismes locaux, selon une figuration où à un pôle de « libre-échange », libéral, qui fait prévaloir le laisser-faire et la loi du/des marché(s) (par exemple De Swann 2001) s’oppose un pôle interventionniste à deux variantes, le plus souvent associées : l’écologie linguistique (« altermondialiste »), qui avance des arguments d’ordre éthique et juridique (droits de l’homme-droits linguistiques) (par exemple Hagège 2000, Nettle et Romaine 2003, Boudreau et al 2003) et le nationalisme linguistique, qui met en avant un positionnement identitaire (Boyer 2004):

Le numéro 99-100 (2001) de la revue québécoise Terminogramme offre une excellente occasion pour apprécier l’état des savoirs à propos des “ géostratégies des langues ” (titre de la publication en question), c’est à dire des “ rapports et [de la] compétition [des langues] sur l’échiquier mondial ” (Maurais, 2001, p. 7).

A cet égard, à propos du débat actuel centré sur les effets sociolinguistiques de la mondialisation, comme le souligne R.E. Hamel,

Les positions ne concordent pas toutes […]. Même entre celles qui s’opposent à l’hégémonie complète de l’anglais, les points de vue et les divergences de stratégies persistent.  Nous connaissons, d’une part, la tendance à défendre sans restrictions toutes les langues du monde et le droit de tout citoyen à recevoir une éducation dans sa langue;d’autre part, il y existe une position qui situe la contradiction principale entre l’anglais, d’un côté, et les autres langues nationales et internationales, d’un autre côté  (Hamel, 2001, p. 130).

La deuxième position mentionnée, celle de “ sociolinguistes français [qui] préviennent des risques de remplacement des langues locales au détriment des langues nationales et supranationales ” est exposée de manière synthétique, dans l’article cité de R.E. Hamel, au travers de la citation d’une “ communication par courriel” de L.J. Calvet (Hamel, 2001, p. 131, note 1)  pour qui “ en termes de politologie linguistique, la promotion des langues “ minoritaires ” ou “ régionales ” ou “ petites ”, irait dans le sens de l’impérialisme anglophone ”.

L.J. Calvet avait déjà explicité la même position, à propos de l’Europe en particulier, une position dont la dimension délibérément et excessivement macrosociolinguistique a certes le mérite de la clarté mais où le parti pris de globalisation fait peu de place à la prise en compte de la complexité et de la diversité des situations.

Qu’on en juge :

[La mondialisation] accepte volontiers l’éclatement en microcommunautés linguistiques mais supporte mal les langues intermédiaires, supercentrales qui sont, localement, autant de points de résistance. L’Europe, si elle évoluait vers une fédération de régions, comme le souhaitent certains, pourrait ainsi aller vers la domination de l’anglais coexistant avec une pluralité de “ petites ” langues comme le galicien, le catalan, le basque, le corse, l’alsacien, tandis que le français, l’allemand et l’espagnol seraient lentement ramenés à un statut de langues centrales et non plus supercentrales. De ce point de vue, la défense des langues “ menacées ” augmenterait la domination de la langue hypercentrale, de la même façon que, dans les situations postcoloniales, c’est la division linguistique qui conforte les langues officielles comme l’anglais, le français ou le portugais. Ce scénario européen n’est pour l’instant qu’une hypothèse, mais il jette une nouvelle lumière sur le débat. (Calvet, 2002, p. 99).

D’où :

Toutes les langues sont égales aux yeux du discours PLC, ce qui signifie simplement que toutes les langues sont des langues, qu’elles méritent par exemple toutes d’être décrites, mais du point de vue de leur valeur, dans leurs fonctions comme dans les représentations, les langues sont profondément inégales (Ibid, p. 99).

Un commentaire sur le diagnostic ainsi exprimé s’impose même si on peut toujours, pour sa défense, arguer du fait qu’il est un raccourci, donc une simplification volontaire. Ce n’est pas exactement la mondialisation qui a intérêt à donner aux régions d’Europe un poids de plus en plus important, mais bien les tenants (de toutes qualités) d’une intégration européenne dans laquelle le poids des Etats-Nations, dont certains offrent la résistance que l’on saità des pertes importantes de souveraineté, serait réduitpar dilution des prérogatives, si l’on peut dire. Cependant, toutes les régions concernées par cette perspective ne constituent pas des communautés linguistiques historiques : sur les 250 régions que comptait il y a peu l’Assemblée des Régions d’Europe, combien d’entre elles ont une “ langue propre ”, distincte de celle qui est officielle au niveau de l’Etat, à l’instar de la Catalogne, de la Galice ou du Pays Basque en Espagne ? Sûrement une minorité. Quant à l’analogie avec les situations post-coloniales, elle me semble relever bien davantage d’une rhétorique politico-médiatique que d’une authentique analyse comparative.

On ne saurait par ailleurs souscrire à l’hypothèse globalisante avancée de manière péremptoire par L.J. Calvet quantà “ la tendance à ramener les langues supercentrales au rang des langues centrales, qui serait la ligne de force de la mondialisation linguistique ”. En particulier, s’agissant de l’Espagne, qu’il se rassure : l’espagnol sous la dénomination de castillan n’y est nullement “ en voie d’être rétrogradé […] au rang de langue régionale, à côté du catalan ou du basque ” (voir en particulier Boyer et Lagarde dirs. 2002), contrairement à ce que s’évertue à faire croire un certain discours nationaliste espagnol, allié aux détracteurs (minoritairesdans la communauté) de la normalisation sociolinguistique conduite par le gouvernement autonome de Catalogne depuis 1980 (Boyer, 2003). Pas plus que le même castillan n’est menacé au Paraguay par l’officialisation du guarani depuis 1992... (Hamel, 2001)

On sait que pour Calvet, le modèle susceptible de “ mettre de l’ordre dans […] le désordre ”, est le “ modèle gravitationnel ”(Calvet, 2002, p. 26-27, voir également Calvet, 1999, p. 76-81).

Il est tout à fait évident qu’ “ une configuration ne consiste […] pas seulement à prendre acte d’un état de fait, elle est une intervention transitive sur les faits, une présentation parmi d’autres possibles, en fonction d’une logique qui donne à ces faits une certaine forme, un certain sens ” (Ibid, p. 28 ; c’est moi qui souligne). Mais justement, “ parmi d’autres [présentations] possibles ”, celle que choisit Calvet donne, des faits linguistiquesliés à la mondialisation, “ un certain sens ” qui fait problème pour tout linguiste qui souhaiterait se situer pleinement “ dans le groupe A ” de W. Labov, malgré les limites qu’on peut trouver à cette catégorisation (Labov, 1976, p. 357). On est en effet fondé à émettre les plus vives réserves face à la configuration retenue, purement comptable, si j’ose dire, lorsqu’on observe le type de point de vue, réducteur, qu’elle semble autoriser:

Il est confortable de croire que si des langues disparaissent de l’usage c’est à cause de la domination égoïste des “ grandes ” langues, et que si l’anglais s’impose comme véhiculaire international c’est à cause de la domination égoïste de la puissance américaine. Confortable mais faux. Si des locuteurs ou des communautés linguistiques se plient à la loi du marché, si certains abandonnent leur langue, ne la transmettent plus, ce n’est pas nécessairement le couteau sous la gorge mais plutôt parce qu’ils considèrent que là est leur intérêt ou celui de leurs enfants. (Calvet,  2002, p. 212).

Un simple rappel des nombreux facteurs pouvant expliquer l’ “ obsolescence [d’une langue] ” énoncés par W.F. Mackey suffit à souligner le caractère strictement polémique des propos de Calvet :

Une langue perd graduellement ses fonctions sociales par le biais de l’émigration, la famine, la maladie, le génocide, la baisse du taux de natalité, l’exogamie, l’absence de travail, l’absence d’instruction, la pauvreté ou l’interdiction. (Mackey, 2001, p. 105).

Toujours dans le numéro 99-100 de Terminogramme,le promoteur du “modèle gravitationnel ” adapté par Calvet, Abram de Swaan, livre une série de réflexions sur “la constellation mondiale des langues” qui éclairent le modèle en question, (2) en mettant en lumière l’inspiration fondamentalement et étroitement économiste d’un tel modèle. A vrai dire, le titrene rend pas bien compte de la nature du discours tenu dans l’article.

En effet, ce discours développe une analyse du rapport entre les langues, de leurs valeurs respectives, qui emprunte largement à la logique industrielle et commerciale. Qu’on en juge par un certain nombre d’énoncés on ne peut plus analogiques:

D’un point de vue économique, on peut comparer les langues aux normes industrielles et à certains réseaux de distribution (De Swaan, 2001, p. 50).

La loyauté linguistique est un cas extrême de loyauté du consommateur (Ibid, p. 51).

Quand un individu apprend une langue, choisit un appareil électronique […] ou fait appel à un réseau de services, il accroît ce faisant l’utilité de cette langue, de cette norme ou de ce réseau pour tous les autres utilisateurs qui l’emploient déjà (Ibid, p. 51).

Plus grande est la place occupée sur le marché par une norme donnée [ex : PAL et SECAM pour la télévision] […] plus grandes sont la quantité et la variété des programmes et des enregistrements offerts par les appareils conformes à cette norme. Ce fait accroît à son tour la valeur de ces appareils pour leurs utilisateurs. Dans ce cas il existe un net parallélisme avec les langues : plus il y a de locuteurs, plus il y a de lecteurs et donc plus il y a d’auteurs et de textes produits (Ibid, p. 52).

Et il est question d’ “investissement”, de “bénéfices […] attendus”, de “coût”, etc. puisque les langues sont des “biens hypercollectifs”. On est loin ici, avec une telle rhétorique, de l’analyse de Bourdieu en matière d’économie des échanges linguistiques au sein d’une communauté donnée, selon une hiérarchisation-articulation de marchés, marchés dominants (officiels) et marchés francs (périphériques, dissidents), car la dynamique écolinguistique avancée par Bourdieu n’est en définitive que la dénonciation d’un leurre : celui d’une indépendance du marché linguistique par rapport au contexte sociétal (socio-économique, politique, culturel) (Bourdieu, 1983). Cette façon de concevoir le rapport entre langue et société rejoint, à propos d’un marché de nature plurilingue celui-là, celle de Robert Lafont qui considère que “ pour le sociolinguiste cohérent, il n’y a jamais de “questions de langue”, mais des questions de société que les usages enveloppent comme ils en dérivent ” (Lafont, 1994, p. 134).

D’ailleurs, De Swaan semble rendre indirectement hommage à la clairvoyance de Bourdieu en matière d’économie sociolinguistique, à propos des marchés francs (comme les argots):

Il existe certes des codes et des langages secrets qui permettent d’exclure les non-initiés ; curieusement, en pareil cas, l’hypothèse centrale de notre théorie (une langue gagne en valeur à mesure qu’elle aplus de locuteurs) n’est pas valable . (De Swaan, 2001, p. 52, note 13 ; c’est moi qui souligne).

Je ne m’attarderai pas sur un certain nombre d’observations discutables qui s’appuient manifestement sur une information théorique et/ou factuelle lacunaire, comme celle-ci concernant les créoles:

Il existe des langues apparues dans un passé relativement récent, comme les langues créoles, qui furent “ créées ” par un nombre de personnes relativement petit, sans doute de très jeunes enfants, en très peu de temps (Ibid, p. 53, note 15).

Je citerai une autre de ces observations étonnantes, à propos de l’interruption de la transmission d’une langue:

L’abandon définitif [de la “ langue en implosion ”] ne se produit que lorsque la génération suivante n’apprend plus la langue des parents (De Swaan, 2001, p. 59).

Evidemment, ce ne sont pas les enfants qui n’apprennent plus la langue des parents, mais les parents qui, victimes le plus souvent d’un sentiment de culpabilité (Lafont, 1971), d’une attitude d’auto-dénigrement, produits d’une idéologie diglossique (Boyer, 1991 et 2003) ne transmettent plus la langue dominée à leurs enfants.

D’ailleurs, De Swann est beaucoup plus inspiré dans ces propos concernant “ l’abandon de la langue d’origine ” (De Swaan, 2001, p. 63):

Le “point de basculement” dans le passage de la diglossie à l’hétéroglossie intervient lorsque, pour ceux qui parlent les deux langues indigène et exogène, les coûts de sauvegarde de la langue locale commencent à l’emporter sur sa valeur Q additionnelle, en déclin […]. Une fois que la désertion commence, les parents n’enseignent (3) plus la langue à leurs enfants et, eux-mêmes, ne font plus l’effort de la parler “correctement”

On aura compris que, d’une manière générale, les propositions de De Swaan laissent le sociolinguiste perplexe. Les lacunes bibliographiques concernant des recherches européennes importantes dans les domaines abordés, en particulier en matière de conflit diglossique, sont surprenantes. Elles se manifestent par la présence d’affirmations du type : “ Les rivalités et les accommodements entre groupes linguistiques n’ont guère attiré l’attention jusqu’à maintenant ” ...(Ibid, p. 65)

Ces remarques critiques et ces réserves ponctuelles n’enlèvent rien à l’intérêt global du dossier présenté par Terminogramme. L’ensemble des contributions a le mérite de faire avancer la connaissance en matière de gestions des langues, d’en montrer les enjeux et de mettre en évidence les faiblesses et les écueils d’une réflexion en plein développement. Ainsi on peut, on doit discuter, le fait qu’une “ version forte de la théorie de Whorf et Sapir selon laquelle une langue impose des limites à la pensée de ceux qui la parlent ” inspire deux grands types de géostratégies en vigueur : “ La course à la “ part du marché ” par les représentants des grandes langues internationales, et la protection des langues en voie de disparition entreprisepar la communauté des linguistes et par les représentants des organisations non gouvernementales qui s’occupent des droits linguistiques des minorités ” (Kibbee, 2001, p. 69).

   


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