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Le nationalisme linguistique: une option interventionniste face aux conceptions libérals du marché de langues, by Henri Boyer


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2. La mondialisation et la disparition des langues

Les références au rapport de D. Graddol édité par le British Council : The Future Of English ? (1997) ne manquent pas dans le dossier, un rapport dans lequel est évoquée la disparition possible de nombreuses “ langues locales ” (Kibbee, 2001, p. 72). C’est sûrement à propos de la menace de “ mort ” que la mondialisation fait peser sur ces langues, et de leur défense, que les positionnements, comme on l’a vu, sont les plus discutées. Certes, “ les langues ne sont pas équivalentes aux espèces ”, mais pourquoi “ la perte d’une langue ne [serait-elle] pas un fait équivalent à la perte d’une espèce” ? (Kibbee, 2001, p. 73).

Il est difficile de ne pas souscrire au point de vue selon lequel “ en tant que chercheurs nous pouvons et devons aider ceux qui veulent défendre leur patrimoine linguistique, mais nous n’avons pas le droit de juger ceux qui choisissent de ne pas le faire ” (Ibid, p. 78). Toute la question est de savoir dans quelle mesure il y a vraiment choix, c’est à dire liberté de choix. L’expérience a montré et nous montre, sur le sol européen en particulier, qu’en la matière, ce n’est pas de choix délibéré qu’il convient de parler, mais en général d’une violence (pas toujours symbolique) exercée sur une communauté linguistique en situation de domination et du processus représentationnel stigmatisant qui en découle et au terme duquel la communauté en question dans sa quasi totalité subit plus qu’elle ne choisit la disparition des usages normaux de sa langue historique, même si l’on doit observer que cette disparition ne se produit que sur la longue, voire très longue durée.

A cet égard, D. Nettle et S. Romaine observent que « de nombreux […] exemples de passage d’une langue à l’autre illustrent la difficulté d’une coarcition et le choix délibéré » (Nettle et Romaine 2003 : 102). En fait, et on est là au cœur du positionnement écolinguistique, « un changement de langue résulte d’une modification de l’environnement national ou social » (Ibid, 106). Et par exemple « lorsqu’on y regarde de plus près, on se rend compte que, si souvent les locuteurs des langues celtiques, confrontés au choix conscient ou inconscient entre la langue métropolitaine [= l’anglais] et la langue périphérique [= le cornique, l’irlandais, le gallois], ont paru favoriser la langue métropolitaine, ce n’était pas toujours un choix délibéré ou aisé. A l’instar des Hawaïïens […] ils ont fait ce choix dans un cadre défini et limité par des dominations politiques et culturelles systématiques » :« Pendant [les] longs conflits entre les langues métropolitaines et périphériques, les peuples de la périphérie n’ont souvent pas eu de choix réel » (ibid : 152 et 158 ; c’est moi qui souligne).

L’un des principes de base de l’écologie linguistique rejoint le fondement même de toute préoccuppation écologiste : « la préservation d’une langue dans son sens le plus large implique le maintien du groupe qui la parle » (Ibid : 192). Et cette préservation passe à n’en pas douter par des « stratégies de haut en bas » qui visent à intégrer « la préservation des langues dans le mouvement activiste général en faveur de l’environnement » et à « mettre en place des politiques linguistiques à un niveau local, régional et international qui fassent partie d’une planification politique et de gestion générale des ressources » (Ibid : 213)  mais elles passe également par des « stratégies de bas en haut » car « accorder trop d’attention aux politiques officielles peut s’avérer contre-productif en l’absence d’autres activités aux niveaux inférieurs » (Ibid : 191). Ainsi «  la préservation d’une langue doit d’abord commencer dans la communauté elle-même, grâce à des efforts volontaires, et être financée de bas en haut par les ressources de la communauté » (Ibid : 2002). On peut songer ici aux écoles associatives bilingues pratiquant l’immersion linguistique (exemple :les Calandretas en domaine occitan) crées par des militants de langues dominées.

En définitive le positionnement écolinguistique considère qu’ « il n’est pas possible d’assurer un développement politique, économique ou social sans privilégier le développement linguistique » (Ibid : 185).

3. Le nationalisme linguistique

Ce positionnement de type interventionniste est évidemment de nature sensiblement différente d’un autre positionnement, de type interventionniste également : le nationalisme linguistique. Je m’arrêterai à présent beaucoup plus longuement sur cette autre variante du pôle interventionniste, qui a fait couler beaucoup d’encre dans la dernièrepériode : le nationalisme linguistique, en sollicitant un certain nombre de discours : aussi bien des discours venus des sciences sociales que des discours plus ou moins délibérément impliqués, concernant essentiellement le nationalisme linguistique. L’air du temps est certes à la réticence face à ce nationalisme-là, en particulier. En effet, on a vu proliférer, à partir des conflits dans l’ex-Yougoslavie, des propos alarmistes sur les risques de séparatismes engendrés par les nationalismes culturels ou ethniques qui menaceraient des États pourtant considérés comme solidement nationaux (4). Un prisme déformant est à l’oeuvre, prompt à diaboliser tout nationalisme, surtout s’il émane de lapériphérie d’un Etat-Nation historiquement établi (voir par exemple Lacoste 1998). Ici et là, dans la littérature spécialisée, on tend à prendre toutes les distances souhaitables à l’égard des «idéologies nationalistes qui embrasèrent, dans les siècles derniers et jusqu’à un passé récent telle ou telle partie du continent» européen et du «mécanisme » qui fait que « les passions nationalistes peuvent se focaliser sur les langues» (Crépon 2001 : 28 et 33). Il peut s’agir d’analyses où la confusion semble entretenue sur divers positionnements qui ne s’enchaînent pas nécessairement : autonomisme, nationalisme,indépendantisme ( Lacoste 1998).

Comme toute idéologie, le nationalisme est une construction socio-cognitive spécifique, formée par l’associationde représentations partagées, ayant vocation à légitimer des discours performatifs et à générer un certain nombre d’opinions et d’actions collectives (voir Boyer 2003 : 9-19). On pourra ainsi parler de nationalismes à dominante racialiste, ou à dominante ethnique, ou de nationalismes à dominante culturelle, catégorie à laquelle est lié évidemment ce que je désigne parnationalisme linguistique.

La position d’un spécialiste en la matière, E. Hobsbawn, sur ce type de nationalisme est intéressante précisément en ce qu’elle révèle la difficulté qu’ont certains spécialistes à traiter sereinement (c’est-à-dire sans a priori) et avec rigueur d’un thème qu’on peut considérer sûrement comme polémique, car inscrit dans les tourmentes politiques et militaires des deux derniers siècles. Elle est intéressante égalementen ce qu’elle tend à minimiser la dimension (socio)linguistique de la construction idéologique nationaliste, et donc à relativiser l’existence d’unnationalisme linguistique.

Par exemple : s’il est évident que, pour « les théoriciens français » (de la Révolution), la nationalité était « déterminée par la citoyenneté française », il est très excessif d’affirmer que ces mêmes théoriciens « durent se battre avec opiniâtreté contre toute tentative de faire de la langue parlée un critère de la nationalité » ( Hobsbawn 1992 : 31-32) car, comme le reconnaît le même auteur, « il y a peu de doutes que pour la plupart des Jacobins, un Français qui ne parlait pas français était suspect » (Ibid : 33) : très tôt en effet la Révolution a fait de l’unification linguistique du territoire national en faveur du seul français un enjeu politique majeur pour la nation française (Schlieben-Lange 1996, Boyer 1991: 52-71, Boyer 2003 :49-57). G. Kremnitz souligne aussi que la nation révolutionnaire française « commence très rapidement à se définir en termes de pratique culturelle unifiée » (Kremnitz 2000 : 25 ; voir également Hermet 1996).

4. Les nationalismes linguistiques en Espagne

De même, l’histoire des nationalismes périphériques en Espagne apporte un démenti à l’ affirmation d’Hobsbawn selon laquelle il «existe une analogie évidente entre la façon dont les racistes insistent sur l’importance de la pureté de la race et les horreurs des croisements entre races, et la façon dont tant de formes de nationalisme linguistique -pour ne pas dire toutes- insistent sur la nécessité de purifier la langue nationale de ses éléments étrangers » (Hobsbawn 1990 : 139-140). En effet, si l’on a pu observer l’émergence en Espagne au XIXe siècle d’un nationalisme de type racialisteau Pays Basque, deux autres nationalismes périphériques linguistiques (et bien entendu culturels), le catalan et legalicien, ont fait la démonstration de leur capacité, d’une part à organiser la résistance communautaire contre l’entreprise d’assimilation linguistique programmée par l’État, singulièrement l’État franquiste, (5) d’autre part à intégrer la complexité et la diversité sociétales dans leurs objectifs, en matière de politiques linguistiques en premier lieu. Du reste Hobsbawn rend au passage hommage au catalanisme qui « [a] enregistré une réussite beaucoup plus spectaculaire dans l’assimilation des immigrants (essentiellement ouvriers) dans son pays que le mouvement basque » (Hobsbawn 1992 : 180). Précisément, en ce qui concerne le nationalisme basque, L. Joly a bien montré qu’au Pays Basque« même le nationalisme du début du siècle, au caractère plus nettement racialiste, avait laissé une place importante à la langue. Avec les théories nationalistes de gauche l’euskera prend le rôle de langue nationale et dans l’imaginaire collectif, son apprentissage, son utilisation et sa défense deviennent des actes de révolte contre le franquisme », bien qu’« aujourd’hui, le lien entre nationalisme basque et langue [soit] très hétérogène. Même si tous les nationalistes basques sont d’accord pour défendre l’euskera, il existe un nationalisme basque (et bascophone), pour lequel la langue est la quintessence de la basquitude, et la parler, dans la mesure du possible, une obligation. A l’opposé, il existe un nationalisme uniquement revendicatif vis-à-vis de la langue [...] pour lequel la relation entre nation basque et langue fonctionne à sens unique: le bascophone est Basque, mais il ne faut pas forcément savoir le basque pour être Basque » (Joly 2004 : 87-88).

Pour autant, il n’est pas question ici de faire de la langue le fondement majeur de tout nationalisme, du basque en particulier, de nature assez composite.Une évaluation honnête conduit bien sûr à considérer que « si l’on écarte les cas particuliers, il n’y a aucune raison de penser que la langue ait été plus qu’un critère parmi d’autres par lequel les gens indiquent leur appartenance à une collectivité humaine » (Hobsbawn 1992 : 83 ; c’est moi qui souligne). Mais justement ce sont « les cas particuliers » en question qui m’intéressent ici, comme sociolinguiste.

Ainsi, il sera (brièvement) question dans ce qui suit de ce nationalisme tant décrié et qui pourrait bien cependant, en ces temps de « globalisation », prétendre à une deuxième jeunesse (en relation avec la préoccupation écolinguistique dont il a été question plus haut (bien présente dans le discours sociolinguistique contemporain) surtout lorsqu’il s’agit de « nations sans Etat », autrement dit de nationalités minoritaires mais dynamiques culturellement, socialement , économiquement, comme l’indique M. Guilbernau :

Els nacionalismes democràtics de les nacions sense estat poden ésser considerats en certa mesura com una reacció a una globalització cada vegada més intensa que transforma l’estat naciò tradicional. A través de la seva capacitat per crear identitat en un món on la modernitat avançada ens ha omplert de dubtes sobre el mètode racional que es considerà com a infalible des dels anys de la il-lustració, les nacions sense estat troben un espai i una funció concretes. Aquests se manifesten en la defensa dels drets individuals a través de la reivindicació del dret de les col·lectivitats a mantenir i desenvolupar les seves cultures sense caure en l’exclusivisme, tot exigint el reconeixement i el respecte, i oferint-lo alhora a aquells que són diferents (Guibernau 2000 : 103).

L’Espagne présente à l’évidence deux cas de nationalisme linguistique (les cas du nationalisme basque et surtout celui du nationalisme espagnol étant quelque peu décentrés par rapport à notre propos, malgré des points de convergence) dans lesquels sont concernées deux langues romanes : l’un en Catalogne (qui peut être considéré comme un modèle du genre), l’autreenGalice. Si dans la Communauté Autonome de Galice, l’option politique nationaliste (représentée par le Bloque Nacionalista Galego) est minoritaire sur l’échiquier communautaire, elle est jusqu’à présent majoritaire en Catalogne : la coalition nationaliste Convergència i Unióa rêgné sans partage sur la Communauté Autonome durant plus de vingt ans. Depuis les élections autonomiques de 2003, au sein de la coalition de gauche qui est au pouvoir, la deuxième des composantes, Esquerra Republicana de Catalunya, (par la force électorale qu’elle représente) se revendique non seulement nationaliste mais également indépendantiste.

En Galice, le nationalisme n’a pas eu de difficulté à proclamerla primauté de la langue galicienne comme trait identitaire : elle y est la langue principale de 46% des Galiciens (contre 37 % pour le castillan) et co-principale à17% (Siguan 1999). Et R. Máiz remarque que, dans un ouvrage de référence pour le nationalisme galicien, Sempre en Galiza de Castelao « se reitera una y otra vez que Galicia es una nación por concurrir en ella una serie de caracteres objetivos discriminantes : rasgos diacríticos que son fundamentalmente tres : « lengua », « tierra » y « cultura », de las que la primera se alza como factor clave » (Máiz 2000 : 189 ; c’est moi qui souligne).

Le principal problème posé au nationalisme galicien quant à la langue est aujourd’hui et depuis la mise en oeuvre d’une politique linguistique institutionnelle par la Xunta (le gouvertement autonome), celui d’un antagonisme sociolinguistique entre une tendance dite « reintegrationista » ou « lusista » qui souhaite l’intégration ostensible du galicien à la lusophonie par l’usage orthographique du portugais et une tendance dite « autonomista » ou « isolacionista » qui suit les normes orthographiques de l’Instituto da lingua galega (approuvées par laReal Academia Galega) et officialisées par la Direcció Xeral de Política Lingüística de la Xunta (le gouvernement autonome galicien), normes officielles donc, jugées par l’autre tendance trop dépendantes du castillan (Alén 2000) (6). Il s’agit en fait d’un dilemme pour les nationalistes : soit le galicien n’est pas une langue romane à part entière, mais un dialecte du portugais et alors le nationalisme est privé d’ individuation linguistique, soit le galicien est une langue romane à part entière (mère/soeur du portugais) et malgré un apparentement graphique avec le castillan constitue bien un attribut différenciateur national . Le débat est loin d’être clos.

Quoiqu’il en soit du débat sociolinguistique, et c’est là un handicap à mon sens rédhibitoire, « hay pocas señales de una movilización efectiva de la burguesía a favor del gallego análoga a la movilización que se logró en su tiempo en Cataluña en favor del catalán. Y no hay que olvidar que en la « batalla por el catalán » la burguesía culta ha sido el factor decisivo » (Coseriu 1987 : 135).

5. La construction idéologique d'un nationalisme linguistique en Catalogne

C’est sûrement en effet en Catalogne que la construction idéologique d’un nationalisme linguistique a été le plus loin d’un point de vue théoriqueet sociologique (la bibliographie en la matière est considérable et s’enrichit quotidiennement, au travers d’ouvrages, numéros de revues, séminaires, colloques, tables rondes, débats, dossiers etarticles de presse...). Même si, pour cause d’immigration interne massive (d’origine hispanophone) , l’équilibre démolinguistique a été modifié au cours de l’après-guerre, tout en étant inférieurs à ceux de la Galice, les chiffres de l’usage du catalan comme langue principale ou langue co-principale sont élevés : respectivement 41% et 16% (Siguán 1999).

Les proclamations nationalistes de primauté de la langue catalane sur les autres éléments constitutifs dans la définition de la nationcatalanene manquent pas dans le très vaste corpus nationaliste. L’un des textes fondateurs du nationalisme catalan à la fin du XIXe siècle, les célèbres Bases de Manresa (1892-1893), l’indique clairement  (il s’agit de la 3e Base) : « La llengua catalana serà la única que ab carácter oficial podrà usarse a Catalunya y en las relacions d’aquesta regió ab lo Poder central » (Assambleas catalanistes (primera), Manresa, Barcelone 1893, dans Bases de Manresa 1992 : 229). La langue est bien chez les nationalistes catalans l’ «élément central de la représentation de l’identité collective », qui remplit une « fonction symbolique et participative » (Tejerina Montaña1992 : 52-72 ; je traduis).

Le XXe siècle a donc vu se développer en Catalogne un « modèle » de nationalisme linguistique, qui durant les deux dernières décennies de pouvoir politique nationaliste à la tête des institutions autonomiques n’acessé de seconsolider. Et l’on peut dire que de simple représentation au sein d’une idéologie politique, la langue a fait l’objet d’un processus de métonymisation/symbolisation au sein du discours nationaliste, jusqu’à devenir l’élément représentationnel central, moteur, de l’idéologie en question.

L’un des acteurs politiques de cet épanouissement du nationalisme linguistique catalan est sans conteste Jordi Pujol, qui aura présidé durant plus de vingt ans la Generalitat de Catalunya(le gouvernement autonome) en sachant se faire le chantre et le défenseur intraitable de la langue catalane, en contribuant à instaurer en Catalogne autonome un important dispositifde politique linguistique(Boyer et Lagarde dirs 2002 : 96), à partir d’une législation qui a fait tache d’huile dans les utres Communautés d’Espagne ayant une « langue propre », et en tenant un discours public à vocation consensuelle mais inspiré par un indiscutable positionnement nationaliste.

On a manifestement là une modélisation du nationalisme linguistique qui présente un noyau dur de représentations (l’exclusivité, le caratère historico-patrimonial, l’agression/la répression dont la langue a été/est victime, la loyauté communautaire à son égard, exemplaire par le passé et qui doit se prolonger dans un militantisme linguistique) dont on retrouverait vraisemblablement la pertinence ailleurs.

   


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