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Sommaire 1. Introduction Je schématiserais volontiers les options sociolinguistiques (en matière de gestion des contacts de langues) qui s’opposent actuellement, en relation avec la « mondialisation » et la situation du plurilinguisme planétaire et des plurilinguismes locaux, selon une figuration où à un pôle de « libre-échange », libéral, qui fait prévaloir le laisser-faire et la loi du/des marché(s) (par exemple De Swann 2001) s’oppose un pôle interventionniste à deux variantes, le plus souvent associées : l’écologie linguistique (« altermondialiste »), qui avance des arguments d’ordre éthique et juridique (droits de l’homme-droits linguistiques) (par exemple Hagège 2000, Nettle et Romaine 2003, Boudreau et al 2003) et le nationalisme linguistique, qui met en avant un positionnement identitaire (Boyer 2004):
Le numéro 99-100 (2001) de la revue québécoise Terminogramme offre une excellente occasion pour apprécier l’état des savoirs à propos des “ géostratégies des langues ” (titre de la publication en question), c’est à dire des “ rapports et [de la] compétition [des langues] sur l’échiquier mondial ” (Maurais, 2001, p. 7). A cet égard, à propos du débat actuel centré sur les effets sociolinguistiques de la mondialisation, comme le souligne R.E. Hamel,
La deuxième position mentionnée, celle de “ sociolinguistes français [qui] préviennent des risques de remplacement des langues locales au détriment des langues nationales et supranationales ” est exposée de manière synthétique, dans l’article cité de R.E. Hamel, au travers de la citation d’une “ communication par courriel” de L.J. Calvet (Hamel, 2001, p. 131, note 1) pour qui “ en termes de politologie linguistique, la promotion des langues “ minoritaires ” ou “ régionales ” ou “ petites ”, irait dans le sens de l’impérialisme anglophone ”. L.J. Calvet avait déjà explicité la même position, à propos de l’Europe en particulier, une position dont la dimension délibérément et excessivement macrosociolinguistique a certes le mérite de la clarté mais où le parti pris de globalisation fait peu de place à la prise en compte de la complexité et de la diversité des situations. Qu’on en juge :
D’où :
Un commentaire sur le diagnostic ainsi exprimé s’impose même si on peut toujours, pour sa défense, arguer du fait qu’il est un raccourci, donc une simplification volontaire. Ce n’est pas exactement la mondialisation qui a intérêt à donner aux régions d’Europe un poids de plus en plus important, mais bien les tenants (de toutes qualités) d’une intégration européenne dans laquelle le poids des Etats-Nations, dont certains offrent la résistance que l’on saità des pertes importantes de souveraineté, serait réduitpar dilution des prérogatives, si l’on peut dire. Cependant, toutes les régions concernées par cette perspective ne constituent pas des communautés linguistiques historiques : sur les 250 régions que comptait il y a peu l’Assemblée des Régions d’Europe, combien d’entre elles ont une “ langue propre ”, distincte de celle qui est officielle au niveau de l’Etat, à l’instar de la Catalogne, de la Galice ou du Pays Basque en Espagne ? Sûrement une minorité. Quant à l’analogie avec les situations post-coloniales, elle me semble relever bien davantage d’une rhétorique politico-médiatique que d’une authentique analyse comparative. On ne saurait par ailleurs souscrire à l’hypothèse globalisante avancée de manière péremptoire par L.J. Calvet quantà “ la tendance à ramener les langues supercentrales au rang des langues centrales, qui serait la ligne de force de la mondialisation linguistique ”. En particulier, s’agissant de l’Espagne, qu’il se rassure : l’espagnol sous la dénomination de castillan n’y est nullement “ en voie d’être rétrogradé […] au rang de langue régionale, à côté du catalan ou du basque ” (voir en particulier Boyer et Lagarde dirs. 2002), contrairement à ce que s’évertue à faire croire un certain discours nationaliste espagnol, allié aux détracteurs (minoritairesdans la communauté) de la normalisation sociolinguistique conduite par le gouvernement autonome de Catalogne depuis 1980 (Boyer, 2003). Pas plus que le même castillan n’est menacé au Paraguay par l’officialisation du guarani depuis 1992... (Hamel, 2001) On sait que pour Calvet, le modèle susceptible de “ mettre de l’ordre dans […] le désordre ”, est le “ modèle gravitationnel ”(Calvet, 2002, p. 26-27, voir également Calvet, 1999, p. 76-81). Il est tout à fait évident qu’ “ une configuration ne consiste […] pas seulement à prendre acte d’un état de fait, elle est une intervention transitive sur les faits, une présentation parmi d’autres possibles, en fonction d’une logique qui donne à ces faits une certaine forme, un certain sens ” (Ibid, p. 28 ; c’est moi qui souligne). Mais justement, “ parmi d’autres [présentations] possibles ”, celle que choisit Calvet donne, des faits linguistiquesliés à la mondialisation, “ un certain sens ” qui fait problème pour tout linguiste qui souhaiterait se situer pleinement “ dans le groupe A ” de W. Labov, malgré les limites qu’on peut trouver à cette catégorisation (Labov, 1976, p. 357). On est en effet fondé à émettre les plus vives réserves face à la configuration retenue, purement comptable, si j’ose dire, lorsqu’on observe le type de point de vue, réducteur, qu’elle semble autoriser:
Un simple rappel des nombreux facteurs pouvant expliquer l’ “ obsolescence [d’une langue] ” énoncés par W.F. Mackey suffit à souligner le caractère strictement polémique des propos de Calvet :
Toujours dans le numéro 99-100 de Terminogramme,le promoteur du “modèle gravitationnel ” adapté par Calvet, Abram de Swaan, livre une série de réflexions sur “la constellation mondiale des langues” qui éclairent le modèle en question, (2) en mettant en lumière l’inspiration fondamentalement et étroitement économiste d’un tel modèle. A vrai dire, le titrene rend pas bien compte de la nature du discours tenu dans l’article. En effet, ce discours développe une analyse du rapport entre les langues, de leurs valeurs respectives, qui emprunte largement à la logique industrielle et commerciale. Qu’on en juge par un certain nombre d’énoncés on ne peut plus analogiques:
Et il est question d’ “investissement”, de “bénéfices […] attendus”, de “coût”, etc. puisque les langues sont des “biens hypercollectifs”. On est loin ici, avec une telle rhétorique, de l’analyse de Bourdieu en matière d’économie des échanges linguistiques au sein d’une communauté donnée, selon une hiérarchisation-articulation de marchés, marchés dominants (officiels) et marchés francs (périphériques, dissidents), car la dynamique écolinguistique avancée par Bourdieu n’est en définitive que la dénonciation d’un leurre : celui d’une indépendance du marché linguistique par rapport au contexte sociétal (socio-économique, politique, culturel) (Bourdieu, 1983). Cette façon de concevoir le rapport entre langue et société rejoint, à propos d’un marché de nature plurilingue celui-là, celle de Robert Lafont qui considère que “ pour le sociolinguiste cohérent, il n’y a jamais de “questions de langue”, mais des questions de société que les usages enveloppent comme ils en dérivent ” (Lafont, 1994, p. 134). D’ailleurs, De Swaan semble rendre indirectement hommage à la clairvoyance de Bourdieu en matière d’économie sociolinguistique, à propos des marchés francs (comme les argots):
Je ne m’attarderai pas sur un certain nombre d’observations discutables qui s’appuient manifestement sur une information théorique et/ou factuelle lacunaire, comme celle-ci concernant les créoles:
Je citerai une autre de ces observations étonnantes, à propos de l’interruption de la transmission d’une langue:
Evidemment, ce ne sont pas les enfants qui n’apprennent plus la langue des parents, mais les parents qui, victimes le plus souvent d’un sentiment de culpabilité (Lafont, 1971), d’une attitude d’auto-dénigrement, produits d’une idéologie diglossique (Boyer, 1991 et 2003) ne transmettent plus la langue dominée à leurs enfants. D’ailleurs, De Swann est beaucoup plus inspiré dans ces propos concernant “ l’abandon de la langue d’origine ” (De Swaan, 2001, p. 63):
On aura compris que, d’une manière générale, les propositions de De Swaan laissent le sociolinguiste perplexe. Les lacunes bibliographiques concernant des recherches européennes importantes dans les domaines abordés, en particulier en matière de conflit diglossique, sont surprenantes. Elles se manifestent par la présence d’affirmations du type : “ Les rivalités et les accommodements entre groupes linguistiques n’ont guère attiré l’attention jusqu’à maintenant ” ...(Ibid, p. 65) Ces remarques critiques et ces réserves ponctuelles n’enlèvent rien à l’intérêt global du dossier présenté par Terminogramme. L’ensemble des contributions a le mérite de faire avancer la connaissance en matière de gestions des langues, d’en montrer les enjeux et de mettre en évidence les faiblesses et les écueils d’une réflexion en plein développement. Ainsi on peut, on doit discuter, le fait qu’une “ version forte de la théorie de Whorf et Sapir selon laquelle une langue impose des limites à la pensée de ceux qui la parlent ” inspire deux grands types de géostratégies en vigueur : “ La course à la “ part du marché ” par les représentants des grandes langues internationales, et la protection des langues en voie de disparition entreprisepar la communauté des linguistes et par les représentants des organisations non gouvernementales qui s’occupent des droits linguistiques des minorités ” (Kibbee, 2001, p. 69). |
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