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Le nationalisme linguistique: une option interventionniste face aux conceptions libérals du marché de langues, by Henri Boyer


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Dans l’une de ses prises de parole les plus solennelles en la matière : une conférence prononcée le 22 mars 1995 au Palais des Congrès de Montjuich à Barcelone, et intitulée : « Què representa la llengua a Catalunya ? » (Pujol 1996), le Président de la Généralité en exercice s’est livré à. une explicitation détaillée, sur le mode emphatique, du « modèle » catalan de nationalisme linguistique. Je ne retiendrai de ce long discours exemplaire, pour clore ces quelques réflexions, que l’articulation entre les divers éléments constitutifs de la représentation identitaire de la langue catalane proposée/imposée par Pujol à son auditoire, selon une construction argumentative orientée vers la nécessaire défense du catalan, considéré en situation précaire:

  • La langue catalane est le fondementde lanation catalane.(7)
  • La langue catalane est la seule langue historique, patrimoniale, de Catalogne
  • Cette langue a été victime d’une persécution impitoyable qui a visé à la détruire. Le responsable en est l’Etat espagnol (en particulier l’Etat franquiste)
  • Heureusement les Catalans ont fait preuve de fidélité (de loyauté) à l’égard de leur langue et ont résisté à l'entreprise de destruction
  • Cependant cette persécution a laissé de graves séquelles : la langue catalane est en état de faiblesse.
  • Cette faiblesse, due à l’entreprise de persécution, rend légitime une action collective en sa faveur : politique linguistique institutionnelle mais aussi militantisme catalaniste.

Aussi, il n’est pas étonnant que la Catalogne soit devenue, depuis le début des années quatre-vingts, la locomotive des reconquêtes sociolinguistiques pour les langues d’Espagne autres que le castillan (galego, euskara,…), et un exemple reconnu en matière glottopolitique au plan international : dans sa confrontation de trois des entreprises contemporaines d’inversion d’une substitution linguistique, J.-A. Fishman (1993), tout en considérant que l’objectif d’une pleine normalisation sera plus long à atteindre que pour l’hébreu en Israël ou le français au Québec, salue la restauration en Catalogne du catalan comme langue de communication de plein exercice d’une société moderne, tant sur le plan fonctionnel que sur le plan symbolique, une restauration par ailleurs consensuelle (Fishman, 1993). Cette reconnaissance est partagée par la communauté scientifique des sociolinguistes qui prennent toute la mesure du chemin parcouru au Principat en deux décennies de normalisation linguistique. (Boyer et Lagarde dirs 2002).(8)

En effet, la « bataille de la langue » (Pujadas, 1988), une bataille clairement collective mais où le catalanisme politique a été un puissant moteur,s’est progressivement institutionnalisée sous la conduite de la Generalitat, et surtout par l’action de la Direcció General (aujourd’hui Secretaría) de PolíticaLingüística et d’autres structures de gestion glottopolitique (comme le Consorci per a la normalització lingüística).

Et il s’est agi, après une période de récupération sociolinguistique, de faire du catalan la langue prioritaire de la Catalogne. Ainsi la nouvelle loi linguistique de 1998, dite de politique linguistique précise bien les statuts respectifs des deux langues coofficielles de Catalogne, selon les deux principes reconnus en la matière (Mackey, 1976) : le principe de territorialité qui consacre le catalan comme la « langue propre » de la Communauté autonome de Catalogne ; le principe de personnalité qui protège l’usager-citoyen est reconnu grâce à la coofficialité du castillan et du catalan.

Une loi qui, pour les responsables de la Politique linguistique, conforte l’identité nationale et consolide le modèle linguistique catalan. Cependant, cette loi n’a pas été approuvée dans des circonstances aussi favorables que la précédente Loi linguistique de 1983 et le volontarisme nationaliste (toutes tendansces nationalistes confondues)a sûrement été décisifpour son adoption.

Le succès indiscutable d’une politique linguistique de normalisation vigoureuse, que la Loi de 1998 vise à amplifier, est incontestablement dû aux aspirations bien réelles de la communauté catalanophone (communauté qui se vit à n’en pas douter majoritairement comme nationale) en la matière, sans négliger l’efficacité du dispositif administratif ettechnique de la normalisation. Un dispositif et des dispositions légales qui, de par leur efficacité même, institutionnalisent on l’a dit (et même « fonctionnarisent » pourrait-on dire) l’entreprise de normalisation, au risque d’anesthésier partiellement la société civile dans sa fibrenationaliste  : on voit bien du reste que les manifestations militantes de soutien à la normalisation linguistique ne sont souvent que des réactions à des manifestations d’hostilité à cette normalisation, perçues comme anti-catalanistes. Il y a là peut-être l’une des limites d’une politique linguistique essentiellement officielle, même si elle tente d’encourager des «stratégies de bas en haut».

6. Conclusions

Il n’est pas aujourd’hui très politiquement correct, j’en conviens, de ne pas proclamer ses distances envers le nationalisme, le nationalisme linguistique entre autres. Certes, les péripéties sanglantes de l’éclatement de la Yougoslavie et les crispations infantiles autour de la langue des nouveaux Etats qui en sont issus (en particulier desa nomination) (voir par exemple Djordjevic 2002) n’ont pas manqué d’apporter de l’eau au moulin des détracteurs du nationalisme linguistique qui sont, bien souvent, en France, les tenants d’un Etat-Nation français dur et pur, dont on connaît l’unilinguisme absolu (Boyer 2003 : 49-57), à peine tempéré dans la dernière période par des contraintes essentiellement internationales et en Espagne les tenants d’un tout-espagnol d’une autre époque. Certes, on peut reprocher aux nationalistes catalans au pouvoir jusqu’en 2003 d’avoir à certains égards, dans l’exercice du pouvoir autonome et face à l’Eat espagnol, instrumentalisé l’identité linguistique de laCatalogne. Mais le sociolinguiste n’a pas pour mission de célébrer pas plus que de diaboliser telle ou telle option (glotto)politique. Il peut, il doit même, observer sereinement quelles options/décisions politiques vont (démocratiquement) dans le sens de la protection du plurilinguisme, dans le sens de la défense des « petites langues », des « langues sans Etat », des  langues « minoritaires» ou « régionales ». Or, force est de constater que face aux menaces de la « mondialisation » en la matière et n’en déplaise à L-J. Calvet (Calvet 2002, Boyer 2002), certainesoptionspolitiques sont plus pertinentes que d’autres, ici et là. Certains nationalismes linguistiques, démocratiques, intégrateurs, comme celui qui a permis qu’en Catalogne le catalan redevienne une langue de plein exercice sociétal et qu’en Espagne la question linguistique fasse l’objet d’un large débat, parfois tendu mais prometteur, méritent toute l’attention du sociolinguiste.

Miquel Siguán, en observateur rigoureux de la situation linguistique en Espagne et en Europe, signale justement le défi auquel est et sera immanquablement confontée une langue comme le catalan, en pointant clairement la responsabilité en la matière des citoyens dans leurs choix politiques : « En un futur previsible, el català continuarà existint però en un aiguabarreig de llengües, algunes d’aquestes molt fortes a nivell internacional, on haurà de guanyar dia a dia la seva permanència. I serà la decisió dels habitants de les terres catalanes de continuar parlant la seva llengua i les seves opcions polítiques a l’hora de triar governants que la defensin allò que decidirà el futur de la llengua. » (Siguán 2002 : 55)

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Henri Boyer
henri.boyer@uni-montp3.fr
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