Logotip de la revista Noves SL

Presentació

hemeroteca

bústia

Logo

Sociolingüística catalana


Les langues de la France, per Bernard Cerquiglini


CONTINUA


Que l'on adopte, pour expliquer sa genèse, la thèse traditionnelle et contestable d'un dialecte d'oïl (le supposé francien) "qui aurait réussi" aux dépens des autres, ou que l'on y voie la constitution très ancienne d'une langue commune d'oïl transdialectale, d'abord écrite, puis diffusée (8), le français "national et standard" d'aujourd'hui possède une individualité forte, qu'a renforcée l'action des écrivains, de l'État, de l'école, des médias. Il en résulte que l'on tiendra pour seuls "dialectes" au sens de la Charte, et donc exclus, les "français régionaux", c'est-à-dire l'infini variété des façons de parler cette langue (prononciation, vocabulaire, etc.) en chaque point du territoire. Il en découle également que l'écart n'a cessé de se creuser entre le français et les variétés de la langue d'oïl, que l'on ne saurait considérer aujourd'hui comme des "dialectes du français" ; franc-comtois, wallon, picard, normand, gallo, poitevin-saintongeais, bourguignon-morvandiau, lorrain doivent être retenus parmi les langues régionales de la France ; on les qualifiera dès lors de "langues d'oïl", en les rangeant dans la liste.Cette disjonction entre le français "langue nationale standard" et les franc-comtois, wallon, picard, etc. tenus à bon droit comme langues régionales, est à opposer à la situation que montre l'occitan. Celle-ci pourrait être qualifiée de conjonction, l'occitan étant la somme de ses variétés. L'unité linguistique est en effet fort nette, même si une diversité interne est perceptible. Cinq grands ensembles au moins sont repérables : gascon, languedocien, provençal, auvergnat-limousin et alpin-dauphinois. Des subdivisions plus fines sont possibles (vivaro-alpin ? nissard ?) ; elles relèvent toutefois moins de la linguistique que de la géographie, voire de la politique.

Le patrimoine linguistique de la France

Cet examen des principes, notions et critères de sélection de la Charte nous permet maintenant de dresser la liste des langues pratiquées sur le territoire national, et distinctes de la langue officielle. La consultation de spécialistes, doublée d'un balayage systématique du territoire de la République (métropole, départements et territoires d'outre mer) aboutit à la liste que l'on trouvera en annexe.

Cette liste est longue: 75 langues (9). Elle regroupe il est vrai des idiomes de statut sociolinguistique très divers. Entre les créoles, langues régionales sans doute les plus vivantes, essentiellement parlées, pratiquées maternellement par plus d'un million de locuteurs, et le bourguignon-morvandiau, langue essentiellement écrite et que n'utilisent plus que quelques personnes, sans transmission maternelle au nourrisson, les divers cas de figure prennent place. C'est sur une telle typologie que doivent se fonder, semble-t-il, les choix de l'État, en vue de la signature puis de la ratification : liste des langues qu'il entend inscrire dans son patrimoine, mesures retenues pour chacune des langues que concerne la partie III. On insistera sur la présence ou l'absence d'une forme écrite (norme linguistique, orthographe, littérature, etc.) pour chaque idiome considéré. L'enseignement scolaire, en effet, requiert d'une part l'existence d'une version écrite de la langue. Celle-ci doit être établie ; l'exemple du créole est éclairant: la description scientifique, certes bien avancée, précède néanmoins, sans doute de beaucoup, l'établissement d'une norme écrite commune. L'enseignement d'autre part est parfois conduit à opérer des disjonctions. Ainsi, de même que l'alsacien a pour forme écrite (et scolaire) l'allemand standard, on peut être amené à penser que l'arabe dialectal parlé en France a pour correspondant écrit l'arabe commun (celui de la presse, des radio et télévision), qui n'est la langue maternelle de personne.

Le rapporteur considère que ce vaste ensemble de langues, qui enrichit le patrimoine culturel la France et celui de l'Europe, constitue le domaine où s'applique naturellement la partie II de la Charte. En ce qui concerne la partie III, il est clair qu'il appartient au gouvernement d'examiner, cas par cas, les alinéas et paragraphes qu'il retient, et d'établir la liste des langues qu'il souhaite en faire bénéficier.

En tant qu'ancien directeur de l'enseignement primaire, le rapporteur se permet de penser que, pour ce qui est de l'Education nationale, la loi Deixonne, et les possibilités offertes depuis (10), constituent un excellent cadre de travail. Il conviendrait sans doute de réactualiser le dispositif, dès lors que certaines langues (le berbère et l'arabe dialectal, notamment) posent des questions nouvelles à l'intégration, dont l'enjeu reste fondamental. Quant aux langues des Territoires d'Outre Mer, il est évident qu'elles doivent être examinées en liaison avec les Assemblées territoriales.

En tant que linguiste, le rapporteur ne peut s'empêcher de noter combien faible est notre connaissance de nombreuses langues que parlent des citoyens français. Il se permet de suggérer que la France se donne l'intention et les moyens d'une description scientifique de ses langues, aboutissant à une publication de synthèse. La dernière grande enquête sur le patrimoine linguistique de la République, menée il est vrai dans un esprit assez différent, est celle de l'abbé Grégoire (1790-1792).


5 de 6