|
Que
l'on adopte, pour expliquer sa genèse, la thèse traditionnelle et contestable d'un
dialecte d'oïl (le supposé francien) "qui aurait réussi" aux dépens
des autres, ou que l'on y voie la constitution très ancienne d'une langue commune d'oïl
transdialectale, d'abord écrite, puis diffusée (8), le français "national et
standard" d'aujourd'hui possède une individualité forte, qu'a renforcée l'action
des écrivains, de l'État, de l'école, des médias. Il en résulte que l'on tiendra pour
seuls "dialectes" au sens de la Charte, et donc exclus, les "français
régionaux", c'est-à-dire l'infini variété des façons de parler cette langue
(prononciation, vocabulaire, etc.) en chaque point du territoire. Il en découle
également que l'écart n'a cessé de se creuser entre le français et les variétés de
la langue d'oïl, que l'on ne saurait considérer aujourd'hui comme des "dialectes du
français" ; franc-comtois, wallon, picard, normand, gallo, poitevin-saintongeais,
bourguignon-morvandiau, lorrain doivent être retenus parmi les langues régionales de la
France ; on les qualifiera dès lors de "langues d'oïl", en les rangeant dans
la liste.Cette disjonction entre le français "langue nationale standard" et les
franc-comtois, wallon, picard, etc. tenus à bon droit comme langues régionales, est à
opposer à la situation que montre l'occitan. Celle-ci pourrait être qualifiée de
conjonction, l'occitan étant la somme de ses variétés. L'unité linguistique est en
effet fort nette, même si une diversité interne est perceptible. Cinq grands ensembles
au moins sont repérables : gascon, languedocien, provençal, auvergnat-limousin et
alpin-dauphinois. Des subdivisions plus fines sont possibles (vivaro-alpin ? nissard ?) ;
elles relèvent toutefois moins de la linguistique que de la géographie, voire de la
politique. Le
patrimoine linguistique de la France
Cet examen des principes,
notions et critères de sélection de la Charte nous permet maintenant de dresser la liste
des langues pratiquées sur le territoire national, et distinctes de la langue officielle.
La consultation de spécialistes, doublée d'un balayage systématique du territoire de la
République (métropole, départements et territoires d'outre mer) aboutit à la liste que
l'on trouvera en annexe.
Cette liste est longue: 75
langues (9). Elle regroupe il est vrai des
idiomes de statut sociolinguistique très divers. Entre les créoles, langues régionales
sans doute les plus vivantes, essentiellement parlées, pratiquées maternellement par
plus d'un million de locuteurs, et le bourguignon-morvandiau, langue essentiellement
écrite et que n'utilisent plus que quelques personnes, sans transmission maternelle au
nourrisson, les divers cas de figure prennent place. C'est sur une telle typologie que
doivent se fonder, semble-t-il, les choix de l'État, en vue de la signature puis de la
ratification : liste des langues qu'il entend inscrire dans son patrimoine, mesures
retenues pour chacune des langues que concerne la partie III. On insistera sur la
présence ou l'absence d'une forme écrite (norme linguistique, orthographe, littérature,
etc.) pour chaque idiome considéré. L'enseignement scolaire, en effet, requiert d'une
part l'existence d'une version écrite de la langue. Celle-ci doit être établie ;
l'exemple du créole est éclairant: la description scientifique, certes bien avancée,
précède néanmoins, sans doute de beaucoup, l'établissement d'une norme écrite
commune. L'enseignement d'autre part est parfois conduit à opérer des disjonctions.
Ainsi, de même que l'alsacien a pour forme écrite (et scolaire) l'allemand standard, on
peut être amené à penser que l'arabe dialectal parlé en France a pour correspondant
écrit l'arabe commun (celui de la presse, des radio et télévision), qui n'est la langue
maternelle de personne.
Le rapporteur considère que ce
vaste ensemble de langues, qui enrichit le patrimoine culturel la France et celui de
l'Europe, constitue le domaine où s'applique naturellement la partie II de la Charte. En
ce qui concerne la partie III, il est clair qu'il appartient au gouvernement d'examiner,
cas par cas, les alinéas et paragraphes qu'il retient, et d'établir la liste des langues
qu'il souhaite en faire bénéficier.
En tant qu'ancien directeur de
l'enseignement primaire, le rapporteur se permet de penser que, pour ce qui est de
l'Education nationale, la loi Deixonne, et les possibilités offertes depuis (10), constituent un excellent cadre
de travail. Il conviendrait sans doute de réactualiser le dispositif, dès lors que
certaines langues (le berbère et l'arabe dialectal, notamment) posent des questions
nouvelles à l'intégration, dont l'enjeu reste fondamental. Quant aux langues des
Territoires d'Outre Mer, il est évident qu'elles doivent être examinées en liaison avec
les Assemblées territoriales.
En tant que linguiste, le
rapporteur ne peut s'empêcher de noter combien faible est notre connaissance de
nombreuses langues que parlent des citoyens français. Il se permet de suggérer que la
France se donne l'intention et les moyens d'une description scientifique de ses langues,
aboutissant à une publication de synthèse. La dernière grande enquête sur le
patrimoine linguistique de la République, menée il est vrai dans un esprit assez
différent, est celle de l'abbé Grégoire (1790-1792). |