3. Territoire "Les langues visées par la Charte
sont essentiellement des langues territoriales" (Rapport explicatif, p. 11) :
b) par "territoire dans
lequel une langue régionale ou minoritaire est pratiquée" on entend l'aire
géographique dans laquelle cette langue est le mode d'expression d'un nombre de personnes
... (Charte, article 1, alinéa b)
Cette insistance sur la
localisation géographique est fort explicite ; elle va de pair avec l'idée
d'enracinement historique ; elle explique la difficulté avec laquelle la Charte manie la
notion de "langue sans territoire" :
c) par "langues
dépourvues de territoire", on entend les langues pratiquées par des ressortissants
de l'État qui sont différentes de la (les) langue(s) pratiquée(s) par le reste de la
population de l'État, mais qui, bien que traditionnellement pratiquées sur le territoire
de l'État, ne peuvent pas être rattachées à une aire géographique particulière de
celui-ci. (Charte, article 1, alinéa c)
C'est, semble-t-il, à ces
langues que s'applique en priorité l'adjectif "minoritaires", et qu'est
principalement réservée la possibilité de s'en tenir à la partie II de la Charte. Ce
désir d'une assise géographique des langues régionales n'est pas sans contradiction
avec l'intention culturelle que la Charte affiche. On peut faire valoir que la
territorialisation systématique, issue du romantisme allemand qui inspira la linguistique
du XIXe siècle, s'oppose en outre :
- aux principes républicains
français, qui tiennent que la langue, élément culturel, appartient au patrimoine
national ; le corse n'est pas propriété de la région de Corse, mais de la Nation.
- à la science, qui comprend
mal l'expression "territoire d'une langue". Ceci ne peut désigner la zone dont
la langue est issue : en remontant le cours de l'histoire, on constate que toutes les
langues parlées en France ont une origine "étrangère", - y compris le
français, qui fut d'abord un créole de latin parlé importé en Gaule. La seule
justification scientifique est d'ordre statistique, et de peu d'intérêt : elle revient
à distinguer la zone qui, à l'heure actuelle, connaît le plus de locuteurs d'un parler
donné. En d'autres termes, le vrai territoire d'une langue est le cerveau de ceux qui la
parlent.
- à la réalité
sociolinguistique, qui rappelle que la mobilité sociale contemporaine est telle que l'on
parle les différentes langues "régionales" un peu partout. Le créole est une
réalité linguistique bien vivante de la région parisienne.
Signant puis ratifiant la
Charte, la République française aurait donc intérêt, dans sa déclaration, à insister
sur la vocation culturelle de la Charte, en minorant la tendance à la territorialisation.
Elle pourrait également faire valoir qu'elle reconnaît cinq langues "dépourvues de
territoire", effectivement parlées par ses ressortissants, et qui enrichissent son
patrimoine : outre le berbère et l'arabe dialectal, le yiddish, le romani chib et
l'arménien occidental (7). Elle pourrait rappeler enfin que
seul le français, langue de la République, est la langue de tous et que toute autre
langue parlée par un ressortissant français est, de fait, minoritaire.
4. Les dialectes de la
langue officielle
Par définition, les variétés
de la langue officielle ne sont pas du ressort d'un texte qui entend protéger les langues
minoritaires, rendues précaires par l'extension, le rayonnement et l'officialisation de
cette langue. Il convient donc de préciser la situation dialectale du français
"national et standard".
|