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Des
contraintes dans la définition des langues régionales ou minoritaires Si la Charte se donne une mission
essentiellement culturelle et s'accompagne de précautions, le concept de langue qu'elle
utilise est en revanche assez contraignant, et procède par exclusion:
Article 1 Définitions
Au sens de la présente Charte
:
a) par l'expression
"langues régionales ou minoritaires", on entend les langues :
i. pratiquées traditionnellement
sur un territoire d'un État par les ressortissants de cet État qui
constituent un groupe numériquement inférieur au reste de la popula- tion de l'État ;
et
ii. différentes de la (les)
langue(s) officielle(s) de cet État ;
elles n'incluent ni les dialectes
de la (les) langue(s) officielle(s) de l'État ni les langues des migrants.
Plusieurs termes sont à
commenter, que nous avons placés en italiques.
1. Ressortissants vs
migrants
"La Charte ne traite pas
la situation des nouvelles langues, souvent non européennes, qui ont pu apparaître dans
les États signataires par suite des récents flux migratoires à motivation souvent
économique" (Rapport explicatif, p. 6). Il s'agit donc de reconnaître les seules
langues parlées par les ressortissants du pays, distinguées des idiomes de
l'immigration. Cette distinction est toutefois délicate pour une République qui
reconnaît, légitimement, le droit du sol : dès la seconde génération, les enfants
nés de l'immigration sont citoyens français ; beaucoup conservent, à côté du
français de l'intégration civique, la pratique linguistique de leur famille. On peut
cependant suivre l'esprit de restriction de la Charte, en insistant sur le deuxième point
:
2. Traditionnellement
Le texte concerne les langue
régionales ou minoritaires pratiqués "traditionnellement" ; on dit aussi
"historiques" (Préambule, § 2). Si cette notion invite à ne pas retenir les
langues de l'immigration récente, elle incite au rebours à considérer, du point de vue
linguistique, l'histoire de notre pays.
De nombreux citoyens des
départements français d'Afrique du Nord parlaient l'arabe ou le berbère. Certains, pour
des raisons sociales, économiques ou politiques (en particulier les harkis) se sont
installés en France métropolitaine, sans cesser d'être des ressortissants français ;
ils vivent encore, et parlent leurs langues, ou bien leurs descendants ont conservé une
pratique bilingue. Cette situation semble correspondre exactement à celle des langues
régionales ou minoritaires visées par la Charte. On rappellera que le berbère n'est
protégé par aucun pays (il est même menacé) ; on notera que l'arabe parlé en France
n'est pas l'arabe classique, langue officielle de plusieurs pays, mais un arabe dialectal,
dont certains linguistes pensent qu'il est en passe de devenir une variété
particulière, mixte des différents arabes dialectaux maghrébins.
Cette "tradition"
peut être récente, sans pour autant renvoyer à une situation de migrance. C'est le cas
des Hmong, originaires du Laos, installés en Guyane, à la suite d'un geste humanitaire
de la France, en 1977 ; ils constituent une population d'environ 2000 personnes,
implantés dans deux villages monoethniques ; ils sont citoyens français et, pour les
plus jeunes, bilingues français-hmong. Tout conduit à retenir ce dernier parmi les
langues régionales ou minoritaires de la France. Un argument du même ordre peut être
développé en faveur des populations arméniennes installées dans notre pays après les
massacres d'avril 1915 : l'arménien occidental est à ranger parmi les langues de la
France (6).
En revanche, des ressortissants
français issus, parfois lointainement, de l'immigration parlent encore l'italien, le
portugais, le polonais, le chinois, etc. par transmission familiale. Ces langues ne sont
pas à retenir ici. Outre que rien ne les menace, elles sont enseignées, comme langues
vivantes étrangères, dans le secondaire et le supérieur. |