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Diversité sociolinguistique et ressources partagées. Regards critiques sur les politiques d'intégration linguistique en Belgique, par Philippe Hambye et Silvia Lucchini


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Comme il est souligné dans le rapport de l’OECD (2001 : 155), c’est notamment l’écart entre les natifs et les élèves de deuxième génération qui est inquiétant, puisque ces derniers ont suivi tout leur cursus scolaire en français. En même temps, de façon tout aussi inquiétante, les résultats des élèves de deuxième génération et ceux des élèves qui sont nés hors de Belgique sont presque similaires et légèrement plus faibles pour les premiers. Cela semble indiquer que le fait d’être né et scolarisé entièrement en Belgique n’améliore pas la situation scolaire des enfants issus de l’immigration, dont les performances en français semblent être plus que problématiques.(26) Le système éducatif flamand, bien que nettement plus efficace en moyenne, est également un des plus inéquitables: (27) en Flandre, les élèves nés en Belgique de parents étrangers (4%) et les élèves nés à l’étranger (3%) obtiennent respectivement des scores de 418 et 470, alors que la moyenne pour les natifs est de 541 (28) points (De Meyer et al. 2002 : 15).

Certains facteurs caractérisant la situation sociolinguistique des enfants de migrants pourraient expliquer leurs faibles performances en lecture : le fait de ne pas parler la langue de l’école dans l’environnement familial semble ainsi renforcer le risque de retard scolaire. En Communauté française de Belgique, «un élève ne parlant pas habituellement le français à la maison encourt un risque trois fois plus élevé qu’un élève parlant habituellement le français à la maison de se retrouver parmi les lecteurs les plus faibles.» (29) Ce risque est moins élevé (2,5) mais néanmoins présent en Communauté flamande (Lafontaine et al. 2003 : 82).

Il faut toutefois souligner que les enfants issus de l’immigration partagent leurs faibles performances en lecture avec tous les élèves défavorisés sur le plan socio-économique. (30) De ce point de vue, c’est en Communauté française que les disparités entre élèves sont les plus importantes. (31) À milieu social et parcours scolaire équivalents, les jeunes d’origine étrangère ne s’en sortent pas plus mal que les jeunes d’origine belge en Communauté française: «toutes autres choses étant égales par ailleurs, le fait pour un élève d’être d’origine étrangère ne constitue pas un facteur aggravant ou un “handicap” supplémentaire» (Lafontaine et al. 2003 : 80). Soulignons à ce propos que les effets du milieu socio-économique et de l’allophonie se conjuguent dans le facteur «établissement», qui joue un rôle considérable dans l’explication des faibles performances chez les jeunes d’origine immigrée et, plus globalement, chez les jeunes de milieu défavorisé: (32) «In fact, in the majority of OECD countries the effect of the average economic, social and cultural status of students within schools far outweighs the effects of the individual socio-economic background» (OECD 2001 : 199). Or, la Communauté française connaît des effets de concentration importants du point de vue ethnique et socio-économique dans certaines écoles, concentrations dues tant à la présence massive de la population d’origine étrangère dans certaines communes (jusqu’à 40% dans des communes de Bruxelles) qu’à la situation de « quasi-marché scolaire » que connaît la Belgique (Verhoeven 2003) : les établissements scolaires les plus attractifs en raison de leur réputation cherchent à attirer un maximum d’élèves, pour augmenter leurs moyens financiers, mais de préférence ceux qui sont les plus proches des normes scolaires ; cette logique de concurrence induit une ségrégation entre les élèves les plus favorisés qui se retrouvent ainsi dans les établissements de renommée et les élèves en difficulté scolaire qui se concentrent dans les établissements moins prestigieux. Ce mécanisme est en quelque sorte doublé ou renforcé par les stratégies parentales qui, dans un contexte de libre-choix scolaire, visent à offrir à leurs enfants des contextes de scolarisation les plus proches de leurs préférences et de leurs représentations des "possibles". Le résultat est que certaines écoles de la capitale sont fréquentées à 100% par des élèves d’origine étrangère de milieu défavorisé.(33)

Il semblerait donc que l’échec principal des politiques d’intégration consiste en leur incapacité à favoriser la mixité des publics scolaires et à éviter que l’environnement social, linguistique et surtout scolaire des enfants de migrants ne détermine leur parcours éducatif et leurs chances de réussite. Le constat qui s’impose est dès lors celui de la ségrégation scolaire et de la marginalisation sociale des communautés immigrées, marginalisation que les actions menées en faveur de la reconnaissance interculturelle citées plus haut ne semblent pas en mesure de freiner. On peut s’interroger, par ailleurs, sur la pertinence des mesures mises en place pour favoriser cette reconnaissance. Nous pouvons en effet constater que:

- Les cours d’enseignement des langues et cultures d’origine s’adressent uniquement aux immigrés, même si rien n’empêcherait, en soi, que les enfants francophones les suivent aussi. Les écoles qui ont accepté d’adhérer à la Charte de partenariat restent très minoritaires – notamment en raison de contraintes organisationnelles (Campolini et al. 2001) – et il est clair que seuls les langues nationales (français, néerlandais, allemand), ainsi que l’anglais et l’espagnol, dans une moindre mesure (Fabry & Lucchini 2003), sont considérées comme des atouts pour l’ensemble des élèves belges, puisque ce sont les seules langues ayant droit de cité dans les curricula de tous les élèves (Blondin & Mattar 2003), malgré le discours soulignant la richesse du plurilinguisme et du multiculturalisme de la Belgique contemporaine.

- Les Chartes de partenariat ont été signées avec les ambassades des états d’origine, qui ont décidé quelle était la langue et/ou la variété de langue à enseigner (nous lisons ainsi que la langue à enseigner dans le cas des enfants marocains est l’arabe littéral). Aucune place n’est faite aux langues régionales ou minoritaires des pays d’origine. Cela signifie que les langues enseignées ne sont pas toujours celles avec lesquelles les élèves sont familiers et que leur place au sein de l’école ne contribue dès lors par nécessairement à la valorisation de l’identité linguistique et culturelle des élèves.

- Enfin, telle qu’elle est appliquée aujourd’hui, la reconnaissance linguistique et culturelle apparaît comme octroyée à la place de l’autre en fonction d’un savoir sur l’autre et d’un statut qu’on lui réserve, sans que cet autre soit présent dans les décisions qui le concernent.

En somme, la reconnaissance d’une diversité linguistique et culturelle ne se produit pas dans un cadre à la fois de parité de statut et de consultation des populations migrantes. Cette prétendue reconnaissance interculturelle peut de fait augmenter la violence symbolique à l’égard de ces populations et peut donc aboutir au résultat inverse à celui qu’elle s’est fixé : « Ainsi, tout enseignement des cultures construit sur une nomination de faits culturels risque de n’être qu’une prise de pouvoir, qu’une possession de l’Autre. […] En ce sens, les connaissances culturelles n’améliorent pas nécessairement, ni la rencontre, ni la relation pédagogique, mais elles peuvent au contraire servir d’écran et de filtre. » (Pretceille 2003:12)

4. Pour une égalisation des ressources linguistiques

Bien que relativement différentes dans leur conception, les politiques décrites ci-dessus s’avèrent globalement incapables de donner aux personnes issus de l’immigration les moyens pour devenir des citoyens pleinement autonomes et pour mener leur projet de vie dans des conditions sociales et économiques favorables. Les différentes logiques qui coexistent en Belgique lorsqu’il s’agit de définir les politiques d’éducation en faveur des enfants de migrants pèchent par l’inadéquation des dispositifs qu’elles mettent en place, en l’absence d’une stratégie politique claire qui permettrait d’éviter les défauts des mesures actuelles. Parmi ceux-ci, il nous semble que quatre écueils majeurs doivent être évités.

Le premier de ces écueils consiste à proposer un modèle d’intégration qui, en inscrivant la langue au cœur de l’identité collective, promet une modèle assimilationniste dans lequel les personnes d’origine étrangère risquent de ne pas se reconnaître. Dans des sociétés de plus en plus hétérogènes, il est indispensable, faut-il le rappeler, de fonder la citoyenneté sur une communauté de droits, de devoirs et de ressources (économiques, culturelles, linguistiques, etc.) et non sur le partage d’une identité définie de façon essentialiste.

Cependant, un idéal égalitariste et universaliste prônant l’ouverture à l’altérité et la non-discrimination ne doit pas conduire à nier l’hétérogénéité sociale et culturelle ainsi que la nécessaire prise en compte des conditions particulières de certains groupes. Si l’égalisation des conditions socio-économiques des élèves issus de l’immigration est sans conteste un objectif fondamental, il ne saurait toutefois suffire pour améliorer la situation spécifique qui est la leur dans le système éducatif belge : ceux-ci font en effet partie des principales victimes principales d’un système qui permet une forte ségrégation et une concentration des élèves en trajectoire scolaire d’échec dans des classes où il sera toujours plus difficile de modifier cette trajectoire. En outre, il faudrait tenir compte des besoins spécifiques des élèves qui se trouvent en quelque sorte à distance du système de normes dominant. Du point de vue de cette distance par rapport aux pratiques socialement légitimes, la question qui se pose est celle de savoir si la situation des élèves issus de l’immigration n’est pas somme toute particulière. Il ne faudrait pas en effet qu’une logique “politiquement correcte” incite les acteurs du monde de l’éducation refuser d’ouvrir les yeux sur les difficultés propres à ces élèves, au nom de la non-discrimination. (34) Il est frappant à cet égard de constater le décalage entre, d’une part, les recherches scientifiques qui mettent l’accent sur la situation sociolinguistique particulière des enfants de la migration, sur l’intérêt des pédagogies interculturelles, etc., et d’autre part, des politiques qui ont tendance à postuler l’homogénéité des élèves. L’argument selon lequel des politiques de remédiation spécifiques en faveur des populations marginalisées risquerait d’entraîner une ghettoïsation est de peu de poids lorsque l’on sait que la situation actuelle ne parvient pas à égaliser les compétences des élèves et que cette ségrégation existe déjà en Belgique au niveau du marché scolaire (voir ci-dessus). Sans préjuger des spécificités et sans essentialiser les différences ethnique, culturelle ou linguistique, il paraît donc nécessaire de mettre en place des mesures tenant compte par exemple de l’environnement plurilingue de certains enfants, surtout au niveau de l’enseignement fondamental où se creusent déjà les écarts entre élèves (35) (Lire et Écrire 2004). Dans la lignée de Crahay (2000), on peut ainsi insister sur l’urgence de mettre en place une école corrective qui renonce aux illusions de l’égalité des chances et reconnaisse l’inégalité des besoins.

Le troisième écueil est celui qui consisterait à voir dans toute politique de remédiation en faveur des populations immigrées une forme de déni de la valeur intrinsèque des usages qui leurs sont propres ou de rejet la diversité linguistique et culturelle des enfants au profit des normes dominantes des autochtones. D’aucuns considèrent ainsi que des recherches sur les retards scolaires des élèves d’origine immigrée identifient des déficits de compétence là où il n’y a que des comportements non standard et socialement “déviants”. Toutefois, le but louable de ne pas imposer une vision unique de la réussite sociale ne doit pas conduire à refuser de faire de la maîtrise de certaines normes, parmi lesquelles la norme linguistique, un des objectifs prioritaires de l’enseignement. S’il est fondamental de ne pas tomber dans l’hypothèse d’un handicap irrécupérable des élèves en retard et de valoriser leurs ressources plutôt que de stigmatiser leurs lacunes, il serait néanmoins irresponsable de ne pas chercher à remédier aux carences des enfants de migrants en termes d’accès aux ressources linguistiques légitimes, en raison d’une approche valorisant les différences et intégrant les références culturelles et linguistiques des élèves. En ce sens, promouvoir une pédagogie interculturelle ne peut qu’être vain si elle ne s’accompagne pas d’une action en termes d’égalisation des compétences : elle veut donner une image positive d’eux-mêmes à des populations qui n’ont pas les ressources nécessaires pour se construire effectivement un parcours de réussite au sein de la société (Rea 1995 : 203-205).

Cela dit, il nous faut également éviter ce quatrième écueil qui pose a priori une incompatibilité entre partage de normes communes et valorisation des particularismes culturels. Offrir aux citoyens belges des chances égales de réussite sociale, qu’ils soient d’origine étrangère ou non, suppose de leur donner les ressources matérielles et symboliques appropriées pour répondre aux attentes normatives de la société, mais aussi pour disposer d’une image de soi positive. De ce fait, la reconnaissance de la richesse que représentent les langues et les cultures allochtones pour la société belge est un pas important pour permettre aux populations immigrées de choisir librement leur projet de vie en dehors des pressions aliénantes d’une société dans laquelle seule une forme d’identité serait légitimée.Cette reconnaissance dépasse dès lors la simple affirmation d’une égalité formelle ou d’un principe de non-discrimination (v. Honneth 1995 ; Taylor 1992). Il s’agit par exemple d’affirmer l’intérêt de tous les élèves à participer à un environnement multilingue et multiculturel, sans préjuger des besoins des différentes communautés à cet égard : une véritable reconnaissance implique cependant plus que l’imposition à l’autre de la vision que l’on a de lui, c’est pourquoi il serait donc opportun que les communautés immigrées elles-mêmes puissent manifester leurs souhaits en matière de gestion du plurilinguisme.

Par ailleurs, s’il peut être intéressant de favoriser la présence des langues de l’immigration dans l’école, pour tous les élèves, cette forme d’enseignement ne peut porter ses fruits que si elle succède à un programme de renforcement d’une langue au moins. En effet, les recherches menées sur des jeunes enfants de familles d’immigrés italiens nous incitent à penser que ces enfants souffrent surtout de l’absence d’une langue de référence qui puisse servir de support à l’écrit (Lucchini & Flamini 2005 ; Lucchini 2005). Étant donné la complexité linguistique des communautés d’origine, nous croyons que cette langue de référence ne peut être que la langue socialement dominante dans la société d’accueil. La reconnaissance des réalités sociales qui font de la maîtrise de la langue dominante le sésame indispensable pour une participation effective à la société doit toutefois s’accompagner d’une reconnaissance de la variété des usages et de leur égale valeur intrinsèque.

En conclusion, il nous semble que ce qui fait défaut aujourd’hui en Communauté française notamment, c’est une politique volontariste d’apprentissage des langues dominantes et une véritable reconnaissance de la complémentarité des apprentissages linguistiques. Certes, les mesures qui ont vu le jour vont parfois déjà dans ce sens et les récents projets de réforme du Ministère de l’enseignement francophone ont, semble-t-il, été inspirés par les constats alarmants des recherches fondamentales et appliquées menées sur le terrain scolaire. Pourtant, atteindre les objectifs fixés supposerait dans bien des cas des politiques plus radicales et plus ambitieuses que celles mises en place jusqu’à présent. Les modifications apportées dans la formation des enseignants par exemple sont souvent vagues, tandis que de nombreuses actions ne touchent en définitive qu’une part minime des établissements d’enseignement. Des changements réels nécessitent selon nous des réformes plus radicales. Celles-ci ne pourraient cependant être acceptées que sous deux conditions : il faudrait, d’une part, que l’éducation soit effectivement considérée comme le principal moyen de lutte contre les inégalités, et d’autre part, que les mesures en faveur de l’égalité soient soutenues par une volonté commune de vivre ensemble. C’est dire si ces changements dépendent encore aujourd’hui d’une affirmation forte de l’égalité de valeur entre les cultures et entre les communautés, d’un combat contre la xénophobie et les discriminations, au-delà d’un frileux principe de non-discrimination.

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